Je vais vous faire le compte rendu d’une discussion plutôt intéressante qu’on a eut hier soir et qui risque de surprendre les gens qui ne connaissent le Japon que de loin.
Bon, je vais utiliser des pseudos parce que c’ était un sujet un peu « délicat » et personnel.
Présentation des personnages :
Mr Z est japonais, environ 45 ans, marié, 2 enfants, a beaucoup voyagé à l’étranger et parle très bien anglais, de ce fait ou peut-être simplement de par sa personnalité, il est ouvert pour s’exprimer sans tabou et sans pudeur sur des tas de sujets.
Mlle B est américaine, elle approche de la quarantaine, vit depuis plus de 10 ans au Japon, a un bon niveau de Japonais, sa mère est japonaise mais vit et a presque toujours vécu aux Etats-Unis, et comme Mr Z, elle est très ouverte et a beaucoup d’humour.
Quand on discute tous les 3, on passe sans cesse de l’Anglais au Japonais, parfois même au milieu d’une phrase.
Donc hier Mr Z me demande comment j’étais tombé amoureuse de mon mari, ou plutôt pour quelles raisons, je lui réponds assez succintement puis lui retourne la question.
Il explose de rire et prend une mine un peu gênée.
Avec Mlle B, on se regarde, perplexes, amusées. « Ben quoi ? qu’est-ce qui vous gêne ? vous l’avez choisie parce qu’elle avait des gros nénés ? » lui fait Mlle B.
« Non, non, mais je suis sûr que si je vous réponds, vous allez me tomber dessus »
« Mais non, allez-y ! »
« Bon, d’accord mais par pitié, ne m’attaquez pas sur mes opinions !! Promis, hein ? »
Il nous explique donc qu’il a choisi sa femme parce qu’il estimait qu’elle serait une bonne épouse et une bonne mère pour ses enfants, point.
Qu’il avait eut des petites copines, qu’il avait déjà été amoureux, qu’il lui arrivait encore d’être amoureux, mais que l’amour n’avait absolument pas été un critère pour choisir la femme avec qui il allait se marier et fonder une famille, et que choisir sur ce critère c'était selon lui courir à la catastrophe.
Que la famille et les sentiments amoureux, ce n’était pas compatible, que c’était 2 choses distinctes qui n’avaient pas vraiment de raison de se mélanger.
« Ca me serait jamais venu à l’esprit de me marier avec l’une de mes petites amies. Oui, nous les Japonais, on est assez nombreux à réfléchir de cette manière, je sais que ça vous paraît bizarre à vous les occidentaux. Vous, vous avez une vision romantique du mariage. Et puis je ne supporte pas l'échec, si je m'étais marié avec une femme que j'aimais, on aurait pu finir par ne plus s'aimer et se séparer. »
On lui répond qu’en effet, on aurait du mal à passer notre vie avec une personne pour qui l’on n’éprouvait pas de sentiments. Il me pose à son tour une question :
« Et toi ? tu t’en fous que ton mari soit un mauvais père ou un mauvais mari ? »
« C’est pas ça, mais c’est vrai que le critère le plus important c’est d’être amoureux et de penser qu’on peut passer sa vie ensemble. Et puis c’est pas tout blanc, ou tout noir, c'est pas parce que c’est un bon « lover » qu’il ne peut pas être un bon père ou un bon mari aussi. »
« Moi, ça me semble impossible qu’une même personne puisse réunir toutes ces qualités à la fois, c’est complèment idéaliste ! Ca n’existe pas une personne comme ça ! Y a des femmes qui sont de bonnes mères, d’autres qui sont de bonnes amantes. »
« Personne n'est parfait ! On peut avoir des qualités un peu dans chacun de ces rôles.», lui a répondu Mlle B.
En effet, je crois que la polyvalence n’est pas un concept très japonais.
Je lui explique qu’en France dans les magazines, les livres, à la télé, sur internet, de nombreux sujets sont consacrés à : « comment être mère mais rester femme », « être une bonne amante, et une bonne épouse », « comment maintenir les sentiments même après des années de mariage »
« Et les gens y arrivent ???! » me demande-t-il.
« Ben je sais pas, pas toujours en tous cas.. »
« Et quand ils échouent ? »
« Ben.. les gens divorcent, se séparent, certains vont consulter des conseillers, vous pensez jamais au divorce, vous ? »
« Jamais, on a fondé une famille, on doit rester unis pour les enfants, on doit rester ensemble jusqu’à la fin. »
On lui demande alors si ça ne lui manque pas d’éprouver des sentiments pour une femme, d’avoir des relations sexuelles, des gestes tendres. S’il n’est pas malheureux comme ça.
« Et bien pour la famille, il y a ma femme, pour le reste il y a d’autres femmes. Je ne regrette pas mon choix, ma femme est une excellente épouse, une mère qui s'occupe bien de nos enfants. Et puis bon, l’amour c’est un peu comme une maladie, ça ne dure pas longtemps, puis on guérit, puis on peut tomber amoureux plusieurs fois dans sa vie, non ? alors on fait quoi ? à chaque fois on va se marier et divorcer puis recommencer ?»
« Vous voulez dire que vous trompez votre femme ? »
« Biensûr ! comme beaucoup de gens ! »
Je lui demande s’il elle le sait ou si elle l’ignore, s’il elle s’en fiche.
« Elle le sait et elle s’en fiche totalement, comme beaucoup de femmes mariées. »
« Et elle ? elle fait pareil ? »
« Mmmmh.. Je pense pas, je ne sais pas.Vous savez il y a des femmes qui aiment le sexe et d’autres qui ne s’en préoccupent pas vraiment et préfèrent élever des enfants. Et vous ? comment ça se passe si vous rencontrez quelqu’un d’autre ? Vous divorcez ?»
« Oui ! enfin si on s’aperçoit que c’est vraiment sérieux. Que cette personne est vraiment faite pour nous. Pas juste sur un petit coup de foudre passager. »
« Et si vous avez des enfants ?? »
« Oui, là c’est plus délicat, enfin si les parents passent leur temps à se disputer et que ça rend les enfants encore plus malheureux... »
« Nous on remplit chacun notre mission, moi celui de mari, elle de mère et d’épouse, donc on n’a pas de raison de divorcer, ni de se disputer, c’était clair dès le départ. C'est simple. »
C’est vrai d’un côté que ça se tient son truc, du moins ça fonctionne dans la société japonaise, avec la culture qui lui est propre.
J’ai l’impression qu’au final, le mariage, la famille ici, c'est plus un contrat dans le vrai sens du terme, une petite entreprise.
Chacun remplit sa fonction, son rôle, un point c’est tout.
D'ailleurs ça me rappelle la réponse d'une fille, récemment, à qui j'ai demandé la raison de son divorce, qui a eut lieu très peu de temps après le mariage : "Pour raison économique". J'avais aussi demandé à une copine, divorcée et vivant avec son fils lycéen, pourquoi elle ne se mariait pas avec son petit copain. Elle m'avait répondu que son fils allait bientôt rentrer à l'Université et que ça coûterait très cher, qu'elle avait les moyens mais que son petit copain n'avait pas un rond et que s'ils se mariaient, il devrait participer, en tant que père, aux frais d'Université de son fils, ce qu'elle ne voulait pas lui imposer. Bon, oui, j'ai trouvé cette histoire un peu bancale mais bon. Pourquoi, serait-il obliger de payer une fois marié ? mystère.
J’ai une amie ici qui me dit souvent qu’elle pense que le mariage d’amour, c’est le plus casse-gueule et que depuis que les nouvelles générations se sont mises à se marier « par amour », les divorces avaient explosé.
Avec cette vue d’ensemble on comprend mieux pourquoi les femmes de leur côté cherchent des maris avec de bons revenus, une bonne situation, sans s’en cacher, ce qui a tendance à nous choquer.
Pourquoi on entend souvent des filles clamer qu’elles cherchent un « mari » et non pas un « petit copain », qu’elles veulent se marier rapidement alors qu’elles sont célibataires.
Pourquoi les gens organisent des rencontres entre célibataires en vue de se marier, sans forcément passer par la case « relation amoureuse ».
Et pourquoi le Japon apparaît comme le pays où il y a le plus grand nombre de couples mariés sans relations sexuelles, en tous cas après la naissance des enfants. Ce qui ne veut pas dire que les Japonais n'ont PAS de relations sexuelles du tout, mais simplement qu'elles ont lieu en dehors du lit conjugal.
Ca explique aussi pourquoi il y a encore peu, les mariages arrangés (o-miai) étaient si nombreux. Je crois bien d’ailleurs qu’ils n’ont pas totalement disparus.
Enfin, malgré tout, cette vision des choses (qui tout de même je pense a tendance à s’estomper parmi les jeunes générations), ne les aide pas à régler leur problème démographique