Je parlais dans un article précédent de la timidité d'un de mes élèves, c'est un trait particulièrement répandu chez les japonais. Eux mêmes ne cessent de le répéter, et mêmes ceux qui ne parlent quasiment pas un mot d'anglais connaissent les mots "shy", « shy guy », « shy boy ». C’est même un peu la formule magique servant à expliquer n’importe quel comportement ou situation qu’on ne sait expliquer autrement.
Mais je commence à me demander si le mot "timidité" convient vraiment à cette attitude. Par exemple, on peut tout à fait être "timide" et travailler comme commercial dans une boîte... Profession plutôt surprenante et paradoxale pour quelqu'un de timide puisque cela suppose beaucoup de contact, de l'assurance, de l’applomb, des dents de requin, enfin du moins dans l'idée que je m'en fais. J'imagine plutôt mal une entreprise recruter un "timide" pour vendre ses produits, en France en tous cas. Mais les qualités requises chez un commercial japonais sont peut-être tout à fait différentes de celles attendues chez un européen. Et peut-être, même sûrement , que les techniques commerciales françaises ne donneraient aucun résultat ici.
Je parlais l’autre jour de ce genre d'élève à une de mes amies, qui n’est quant à elle pas timide du tout, et elle me disait que oui c’était très fréquent au Japon . Puis elle me demande « mais en France y en a pas des gens timides ? » ....Ben si, mais j’ai l’impression que c’est plus rare ou que ça ne se manifeste pas de la même manière. Ici, on a parfois vraiment l’impression que certaines personnes vivent dans la terreur mais qu’en même temps ils font avec, qu’ils ne vont pas choisir leur métier en fonction ni forcément s’entrerrer chez eux. Je pense à tous ces gens qui par exemple doivent brailler devant les magasins ou restos pour attirer les clients, les aborder dans les supermarchés pour vendre ceci ou cela, se déguiser dans des costumes attrocement ridicules, etc.. tout ce qu'un timide français serait incapable de faire... Ce n’est peut-être pas vécu comme une tare ou un point faible ici, je ne sais pas..
L’autre soir, dans un restaurant, je m’approche d’un serveur qui était en train de bricoler son fût de bière, je lui demande simplement ou sont les toilettes « Sumimasen, O-tearai ha ? » j’ai vu en 2 secondes la panique la plus totale s’installer sur son visage et même tout son corps, les yeux écarquillés comme s’il avait planté, les bégaiements « o.. o... o... cha ?? » (du.. du.. du .. thé ?? ) et le pauvre a fini par lâcher tout ce qu’il avait dans les mains, la bière qui s’étalait sur le sol, les verres cassés, la totale..
Je dois préciser que s’ajoute à cela un 2e syndrôme : la hantise qu’un étranger vienne demander quelquechose en anglais : en vous voyant arriver avec votre tête de gaijin, ils s’attendent forcément à ce que vous veniez leur parler en anglais, que même si vous faites une phrase tout à fait correcte et simple en japonais, ils bloquent, persuadés que vous avez parlé anglais et qu’ils se trouvent dans une situation abominable, essaient de faire ressurgir leurs vieux souvenirs de lycée, n ‘écoutent même plus ce que vous dites tellement ils s’appliquent à montrer qu’ils sont désolés de ne pas vous comprendre, et essaient parfois de marmoner quelques mots d’anglais sans rapport avec votre requête. Bon, là j’ai présenté le tableau extrême, mais ça arrive quelques fois.
Tout ça pour en revenir au fait que je me demande si ce qu’on interprête nous, et eux même comme de la timidité ne serait pas seulement une exagération des codes et formes de politesse et de bienséance japonaises (ne pas se mettre en avant, faire preuve de discrétion et de délicatesse, ne pas être trop expansif ni extraverti, ne pas trop « la ramener » quoi).
Je vais encore prendre l’exemple parmis mes élèves mais en même temps dans mon entourage je ne suis pas tellement confrontée à ce genre d’individu : certains passent leur temps à se courber (comme si c’était un tic incontrôlable), s’exuser de tout, pas vraiment bégayer mais parler dans leur barbe, marmoner, manger leurs mots, , rire ou sourire nerveusement (ce sourire typique qu’ils ont lors d’une situation embarassante ou lorsq’ils ne peuvent vous fournir ce quevous avez demandé), sursauter (j’ai du mal à décrire ce « sursautement » ou « rebondissement » accompagné d’espèce de petits soupirs brefs « ha ... » « ssss.. », mais j’observe souvent ces mouvements de corps par exemple quand les vendeurs au porte à porte viennent à notre bureau, dans les relations commercial-client), une exagération de remerciements lorsque je leur donne une explication sur un point de français mais telle qu’on dirait que je viens de les sauver d’une noyade en mer.
A ce propos, j’ai remarqué avec quelle facilité les japonais pouvaient « switcher » du mode « normal » à celui que je viens de décrire lorsqu’ils ont un coup de fil formel à passer par exemple. Lorsque mes amis (et c’est beaucoup plus frappant chez les garçons) qui sont plutôt du genre décontractés, tranquilles passent ce genre d’appel, ce n’est pas seulement le vocabulaire et le niveau de langage qui changent mais aussi ces espèces de petits « tics » qui apparaissent. Ne rigolez pas, on peut voir des gens faire des courbettes au téléphone ici.
Mais le comble c’est qu’à la petite soirée organisée dans cette école ou je donne quelques cours de français, plusieurs personnes se sont exclamées à mon sujet « sugoiii, nihonjin-ppoi, nihonjin-ppoi » (c’est dingue, elle fait vraiment japonaise !! ». Je peux parfois être extrêmement timide, et il se trouve que ce soir là je ne me sentais pas super à l’aise. J’ai donc demandé à mon directeur « c’est peut-être parce que je suis timide que vous dîtes ça ? » et il m’a répondu qu’en effet ça devait venir de là, ce qui le surprenait tout de même, m’expliquant que le peu de français qu’il avait rencontré avant moi n’étaient absolument pas timides au contraire.
Bon je vous laisse, j’ai quelques japonais à effrayer avant la fin de la journée....