Dans mon commentaire j’expliquais que je ne niais absolument pas l’existence de telles expériences malheureuses, mais qu’en un peu plus d’1 an et demi sur le territoire, je n’avais jamais été victime ni témoin de racisme, ni de problèmes dans le genre, en tant qu’européenne en tous cas, pour les chinois et les coréens, c’est une autre histoire... J’aurais dû toucher du bois...
Bon, j’ai l’impression aussi que certaines personnes ont tendance à éxagérer , à généraliser trop facilement, à devenir paranoïaques, après une seule et unique mauvaise expérience.
J’ai parfois lu « les gens refusent de s’assoir à côté de moi dans le train», OK si l’expérience se répète à chaque fois, mais c’est peut-être aussi une erreur d’interprétation.
D’une part je n’ai jamais constaté ce problème, d’autre part il peut y avoir des tas de raisons pour lesquelles la personne préfère rester debout. D’ailleurs moi aussi, quand je peux éviter de m’assoir à côté d’un inconnu, qu’il soit japonais ou de n’importe quelle nationalité...
Ok, c ‘est pénible de se faire prendre 1 fois sur 2 pour un américain, mais à chaque fois que j’ai été à Barcelone, les japonais se faisaient systématiquement prendre pour des chinois « hey, chino, ni hao ! », en France un peu moins, mais c’est aussi arrivé quelques fois.
Il y a du racisme dans tous les pays, et le Japon n’en est pas exempté, mais de là à dire que c’est un pays extrêmement raciste faut pas pousser, nationaliste certes, mais racisme et nationalisme sont 2 choses différentes.
Enfin, malgré ce que je vais vous raconter par la suite, je n’ai pas changé d’avis à ce sujet.
Je reste persuadée que la vie d’un pakistanais arrivant à Londre, d’un maghrébin arrivant à Paris ou d’un turc à Munich est bien plus difficile au quotidien..
Voilà donc l’histoire :
Lundi soir, j’ai accueilli J., un français qui vient réaliser sa thèse au Japon pendant 3 mois et passe les 2 premiers à Hiroshima. Il a été mis en contact avec moi par le biais d’un ami, et m’a demandé de l’aide pour aller signer à l’agence le bail pour son appartement.
Mr I. de l’agence en question, ne parlant pas anglais, exigeait la présence d’une personne parlant japonais pour la signature du contrat et la remise des clés.
J. avait beaucoup de retard, son avion n’étant pas arrivé à l’heure prévue, et Mr I. attendait à l’agence. L’heure habituelle de fermeture était déjà dépassée, et il avait en plus un autre rendez-vous juste après. Ca partait déjà mal, j’étais un peu tendue, d’autant plus que la fille qui avait trouvé cet appartement et organisé le rendez-vous depuis Tokyo nous avouait être un peu stressée par cette rencontre.
Je suis arrivée la première sur les lieux. Contrairement à ce que je m’étais imaginée, Mr I. était un petit minet de moins de 30 ans, avec coupe Pikachu / Rod Stewart, petit tailleur ceintré façon Host Boy, l’air très sûr de lui.
On a commencé à discuter un peu, puis comme ça l’air de rien, il me raconte que récemment il avait eut affaire à une famille d’indiens :
« Vous savez les indiens, ils utilisent pleins d’épices qui sentent bizarre.., ils font du curry toute la journée dans la maison. C’était toute une famille, ils nous ont rendu l’appartement dans un état ! ça puait le curry, les murs étaient marrons tellement ils avaient dû en cuire toute la journée, c’était dégeulasse » m’expliqua-t-il sur un air de connivence et de dégoût.
J’étais un peu surprise qu’il me raconte ça.
Ca commence bien...
J. n’arrivant toujours pas et Mr I. étant un peu pressé, il commence à sortir les papiers, à me donner des explications sur les règles à respecter dans l’appartement. Puis me demande de remplir des cases : mon nom, mon adresse, mon téléphone portable, sur le contrat. J’étais un peu étonnée, je pensais seulement être venu servir d’interprète.. Il me dit que c’est obligatoire, qu’on ne peut pas remplir un dossier seulement avec une personne ne parlant pas japonais, et qu’en conséquent je devenais garant ou référent.( !?)
Puis il me demande de remplir les infos concernant J., je lui réponds que je ne connais pas son nom. Il commence à prendre un air un peu inquiet, je lui explique que je n’ai jamais rencontré J., que c’est un ami d’ami.
Il poursuit en me demandant son numéro de téléphone, je lui explique que J. vient à peine de descendre de l’avion et qu’il n’a pas encore pu s’équiper mais qu’il le fera certainement au plus vite. D’un air de plus en plus suspicieux, il m’explique que « oui mais bon c’est obligatoire ».
Là, je reçois un appel de J. d’une cabine, qui m’explique que son taxi l’a déposé au mauvais endroit, qu’il en reprend un, mais qu’en plus il a un gros souci : il a essayé de faire un retrait mais celui-ci étant plafonné à 50.000 yens journaliers, ce qu’il ignorait avant d’arriver, il n’a pas la somme totale demandée sur lui.
Là, les gouttes de sueurs commencent à me perler du front. Je suis face à un mec qui n’a pas l’air d’avoir d’opinions particulièrement positives vis à vis des étrangers mais une série de malchance, un concours de circonstances dont on n’est pas totalement responsable, fait qu’on ne va que renforcer ses à prioris.
J. arrive finalement en s’excusant de son retard, on fait les présentations, et arrive le moment fatidique du paiement où je dois lui annoncer le plus délicatement possible qu’il manque une partie de la somme.
Là, le mec déjà nerveux, explose littéralement : grand soupir, il se prend la tête entre les mains en disant « je suis dans la merde, je suis dans la merde...* » avec tout le visage qui tremble de manière assez théâtrale.
Il nous regarde alors droit dans les yeux et nous balance : « haaa, c’est vraiment les différences de culture.. on peut VRAIMENT pas (vous) faire confiance » (« vous » désignant évidemment tous les étrangers, la phrase n’était pas construite de cette manière en japonais, mais le sens était le même )
Je n’ai pas pas pu m’empêcher de le reprendre et de lui demander de ne pas mettre ça sur le dos des différences culturelles, qu’on savait que l’on était en tort, que l’on s’excusait infiniement, mais que J. ignorait cette limitation de retrait depuis les banques japonaises et qu’il ne pourrait retirer que le lendemain.
Evidemment, attitude totalement proscrite au Japon : avoir réponse à tout (la colocataire avec laquelle ça ne passait pas très bien l’année dernière m’avait reproché la même chose, tout se passait en revanche parfaitement bien avec la 2ème colocataire, qui expliquait nos mésententes par le fait que nous soyons toutes les 2 de groupe sanguin O, ce qui nous rendait têtues**...).
Dans la même situation, un japonais aurait sûrement déballé les formules de politesses ad equat, les courbettes à angle parfait, réalisées dans un timing parfait. Ce que je ne sais pas faire. De plus je ne maîtrise absolument pas le langage de politesse japonais, assez complexe, ayant appris sur le tas, ce qui me met dans une situation encore plus délicate à ce moment là.
Dans l’idéal, selon la version "Nadine de Rotschild au pays du Soleil Levant" (c’est-à-dire que ça ne se passe certainement pas toujours ainsi dans la réalité), et d’après ce que m’avait expliqué mon copain, lors d’un conflit, l’un des 2 protagonistes se doit de prendre les fautes sous sa responsabilité et de dire 情けない : nasakenai : je suis lamentable, pitoyable, honteux. Là où on aurait, il me semble, plus tendance à avoir le dernier mot en France.
Mr I. avait tout à fait raison de se mettre en colère, ce n’est pas ça que je remets en question, mais ce qui ne me plaisait pas c’est qu’il fasse l’amalgame « étranger = voyou, malhonnête, indien = sale, etc.. ».
Et puis il fallait bien que je lui fournisse des explications.
(Je mourrai d’envie de lui raconter que justement, on venait de virer de mon école une élève japonaise, une femme assez bizarre d’une quarantaine d’années qui avait manqué plusieurs fois les rendez-vous pour venir payer, avait réservé puis annulé des tas de cours, et avait par dessus le marché donné un faux n° de téléphone et une fausse adresse mail.)
Tandis qu’il continuait à nous dire qu’on le mettait dans la merde, qu’on avait rompu la promesse, que c’était toujours problématiques avec les étrangers, etc.. j’essayais de trouver des solutions : que J. dorme à l’hôtel cette nuit et qu’il revienne le lendemain avec la somme complète pour récuperer les clés, par exemple. « Non, non, non je vous donne les clés aujourd’hui... mais je suis dans la merde... pfff ». Problème sans issue, impasse, ça me faisait vraiment penser aux disputes avec ma colocataire l’année dernière.
Je lui propose alors que l’on ré-essaie de retirer, plus pour lui montrer notre bonne volonté que dans l’espoir d’y parvenir. Au retour du 7/11 je lui explique à nouveau que ça n’a pas été possible, que les retraits sont limités à une somme journalière ce à quoi il me rétorque avec un regard méprisant « et alors, moi je peux bien retirer 500.000 yens par jours » « Oui, parce que vous êtes dans une banque japonaise ».
Il a fini par nous laisser les clés, et accepter que J. revienne donner le reste de la somme le lendemain, en nous disant qu’on avait vraiment de la chance d’être tombés sur lui, que dans une autre agence ça ne se serait pas passé comme ça...
Voilà, sur le coup j’étais vraiment énervée, peut-être encore plus du fait qu’il soit jeune, non pas que j’excuserais plus facilement un vieux mais je me serais dit « laisse tomber ». Evidemment sous la colère, j’étais presque tentée de penser « ils avaient raison, les japonais bla bla...». Puis quelques minutes après, je me suis reprise et me suis dit qu’il ne fallait surtout pas que comme ce Mr I., je fasse une généralité d’un cas particulier, qu’il n’engageait pas tout le Japon dans sa connerie personnelle.
D’ailleurs on a passé un très bon moment ensuite à discuter au comptoir d’un petit resto à ramen avec la serveuse, une petite vieille adorable dont la fille a appris à chanter l’opéra en Italie, du Verdi nous a-t-elle précisé, en nous faisant une imitation très comique de chant d’opéra. Lorsqu’on s’est levés pour partir, elle a fait le baise-main à J. tellement elle le trouvait beau avec son air italien. Elle avait l’oeil, J. a réellement des origines italiennes.
* Je traduis « je suis dans la merde » pour faire plus court ; mais il disait en fait 困りました: komarimashita : ça me met vraiment dans l’embarras, dans une mauvaise situation, ce qui n’a rien de grossier.
** Ici Madame Soleil parle de groupes sanguins, et s’en balance des signes du zodiaque.